À la mémoire de grand-maman
Un parfum de chocolat chaud, le rythme tranquille de berceuses fredonnées et la présence exquise de tendres grands-parents se conjuguent pour enrober l’enfance d’une douceur inoubliable.
J’ai 5 ans. Toujours une joie de voir mes grands-parents, un plaisir de leur rendre visite. Dans un coin du salon, j’aperçois une statue de la Vierge-Marie, cette Sainte-Vierge avec qui ma grand-mère a toujours entretenu des rapports aussi intimes qu’originaux et à qui elle m’envoyait demander pardon, pour un oui, pour un non.
Une fervente ma grand-mère!
J’ai 10 ans et c’est Noël. De ses doigts de fée ont jailli de magnifiques vêtements de poupée qu’elle a mis des heures à confectionner, généreusement, minutieusement. Le souci du détail et de la perfection, la finesse et le raffinement portaient invariablement l’empreinte de ses productions. Ce qui passait entre ses mains subissait les plus heureuses transformations. Un bout de tissu, un reste de laine, un vieux bijou, un morceau de bois, tout pouvait servir sa soif d’inventions. Et ses ouvrages me laissaient toujours émerveillée.
Une artiste ma grand-mère!
J’ai 15 ans. Mes grands-parents habitent maintenant de l’autre côté de la rue. Cette proximité favorisera rapidement une grande complicité. Ma soeur et moi nous arrêtons souvent au retour de l’école, déguster le biscuit offert et entendre ses concerts. La musique! Je la vois qui gigue tout en jouant de l’harmonica ou qui s’installe à son piano en y mariant sa voix ou encore à l’accordéon, tendant l’oreille pour trouver la note, assise dans sa balançoire. Un plaisir de l’entendre.
Une musicienne ma grand-mère!
J’ai 20 ans, c’est Jour de l’an. Souper chez une grand-mère fort affairée. Cette activité tranche tellement avec la bonhomie de grand-papa, fumant doucement sa pipe en attendant les invités. Entre la table et les chaudrons, elle dirige les opérations, lui dictant quoi faire, quoi
porter, quoi dire et lui s’y soumettant docilement, entente tacite passée entre eux depuis si longtemps. Et les parfums de ses plats nous mettent aussitôt en appétit et lui donnent fière réputation. Les petits pains chauds de ma grand-mère, ses desserts onctueux, ses pâtés savoureux, ses viandes cuites juste à point.
Un grand chef ma grand-mère!
J’ai 25 ans. J’ai quitté la maison familiale, mais durant l’été j’y vais toujours passer quelques jours. Grand-maman m’invite à dormir chez elle. L’hôtel le plus chaleureux qui soit! De talc, elle aura saupoudré les draps frais, entrouvert un coin du couvre-lit, comme si le lit lui-même me souhaitait la bienvenue, tiré les rideaux pour que le soleil du matin ne m’éveille pas prématurément, sorti des serviettes pour ma toilette et déposé des pantoufles au pied du lit.
Au petit matin, je serai réveillée par l’arôme du café et du pain grillé. J’entendrai son pas feutré, prenant garde de ne pas faire de bruit, me croyant encore endormie, et son chien qui la suit pas à pas, en cadence, et à qui elle cause tout bas. Au lever, j’aperçois une table si garnie et abondante qui donne peine à croire que nous ne sommes que toutes les deux. Et on bavarde, et on rigole et le temps s’étire sans qu’on ne le voit passer.
Une hôtesse ma grand-mère.
J’ai 30 ans. J’aime lui rendre visite. Elle me raconte les gens et les lieux de son passé et à travers ses récits, je découvre mes racines, j’apprends ce qui m’a précédé. Coquine lorsqu’elle se moque du travers de certaines personnes, nostalgique quand elle évoque le souvenir de son mari ou celui de sa mère trop vite disparue, animée lorsqu’elle fait revivre sous mes yeux ses lieux de travail, les gens qu’elle a aimés, ceux qu’elle admire toujours. Une joie de l’écouter.
Une conteuse ma grand-mère!
J’ai 35 ans et c’est là que la vie l’a quittée pour la première fois. Un accident cardio-vasculaire foudroie injustement cette femme, la privant de toute son énergie et d’une grande partie de ses capacités, ne laissant à la place qu’une femme triste, perdue, ne trouvant plus ses repères, ni ses mots. Ses mains se sont tues, ses souvenirs se sont éteints, son appétit est disparu, les notes de musique se sont peu à peu éloignées et son piano s’est fermé.
Depuis, elle n’a vécu qu’en implorant le ciel de la délivrer de cet enfer.
Ton voeu est maintenant exaucé grand-maman. Va rejoindre grand-papa qui t’attend. Et moi, ta petite fille, je te l’assure, la douceur de l’enfance garde toujours un parfum de chocolat chaud, le rythme tranquille de berceuses fredonnées et surtout le souvenir exquis de tendres grands- parents.
Linda
Photo de alpay tonga sur Unsplash
Le 8 mars, Journée internationale des femmes, est une occasion de célébrer la solidarité entre femmes. Des activités et des échanges permettent alors de souligner l’apport des générations précédentes, mais aussi de créer des liens intergénérationnels riches de sens.
L’hommage de Linda Lebel à sa grand-mère illustre, de manière touchante, la complicité qui peut se développer au fil du temps. Il nous invite à reconnaître les liens précieux avec ces grands-mères tendresse, grands-mères sagesse. Et de valoriser, du même coup, les trésors que sont toutes nos aînées. C’est l’un des objectifs auxquels se consacre le Réseau Résilience Aîné.es Montréal.